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Le 125e anniversaire de Starrag en Suisse

Les fraiseuses du lac de Constance

Les fraiseuses du lac de Constance : Starrag est installé à Rorschacherberg depuis près d’un siècle. Dans les années 1920, Oskar Hoppe et Henri Levy (à droite) présentaient fièrement l’atelier de fabrication à sa femme Rösli et à ses proches.


Sans elles, les bateaux ne navigueraient pas. Les avions ne décolleraient pas. Les centrales électriques ne fonctionneraient pas correctement. Il s'agit bien sûr des machines-outils du groupe Starrag de Rorschacherberg. Elles ne sont pas connues et appréciées uniquement des avionneurs, constructeurs navals et entreprises énergétiques du monde entier, mais aussi par des experts en production de presque tous les secteurs. Fait étonnant, puisque l'histoire a commencé il y a 125 ans avec une machine à enfiler automatique destinée à l'industrie textile.

Médaille d’or à Toulouse ! Ce commerçant de formation et originaire de la Haute-Alsace française était loin de s’imaginer tout cela à l’époque où il vendait encore des machines aux propriétaires des broderies manuelles du canton de Saint-Gall, connues dans le monde entier. Henri Levy, fraîchement naturalisé suisse, était fasciné par ces machines. Mais il trouvait l’enfilage manuel, qui devait généralement être effectué par des enfants, beaucoup trop fastidieux. Responsable des ventes alors âgé de 27 ans, Henri Levy a repris un atelier de serrurerie en 1897 et a créé la machine à fileter, qu’il a élaborée puis construit avec l’aide de ses collaborateurs.

L’idée fit son petit bonhomme de chemin et rencontra un grand succès dans le secteur textile : dix ans plus tard, Henri Levy reçut une médaille d’or pour son invention à l’exposition industrielle internationale de Toulouse, puis peu de temps après, le 3000ème automate à enfiler quitta « l’atelier mécanique Henri Levy Rorschach ». D’autres machines textiles au succès similaire suivirent. Mais lorsque, quelques années plus tard, l’entreprise fut menacée de disparition en raison de la baisse constante de la demande de broderies saint-galloises, celle-ci se tourna vers les tours et les fraiseuses de table.

Une ascension exceptionnelle grâce à un duo d’inventeurs allemands

Le véritable tournant eut lieu en 1917, avec la visite des inventeurs allemands Oskar Hoppe et Richard A. Kempin. Ils lui proposèrent de fabriquer, à titre d’essai, une fraiseuse rigide à cadre fermé, pour laquelle ils possédaient un brevet allemand. Levy fut très intéressé par la construction et, deux ans plus tard, cette invention s’avéra être un véritable succès avec lequel l’atelier, entre-temps rebaptisé Starrfräsmaschinen AG, conquit l’industrie automobile alors en plein essor. Quelques années plus tard, l’entreprise, qui comptait à ce moment-là près de 400 collaborateurs, a dû déménager dans une usine plus grande, située dans la ville voisine de Rorschacherberg.

La fraiseuse Starr est emblématique du succès du groupe Starrag actuel. En effet, les constructeurs de machines suisses ont opté pour un principe de construction qu’ils continuaient à développer et à vendre jusqu’à ce que celui-ci soit remplacé par un nouveau modèle plus performant. Pendant 48 ans, l’entreprise est restée fidèle à la conception originale du duo d’inventeurs, jusqu’à l’arrêt définitif de la construction des fraiseuses rigides en 1967.

Papa Levy : une attention paternelle envers les collaborateurs de Starrag

À sa mort en 1947, Papa Levy, comme il était surnommé affectueusement, a légué à ses descendants une entreprise idéale non seulement sur le plan commercial, mais également sur le plan social. Pendant les 50 années qui ont suivi la création de l’entreprise, le créateur a fait honneur à son surnom de papa : entre autres, il a fondé en 1903 (!) une caisse d’assurance maladie d’entreprise, suivie quelques années après d’une fondation de prévoyance et d’une assurance collective pour l’entreprise. Cet engagement social a été repris par des successeurs comme Jean Schaufelberger et Manfred Widmer, qui ont notamment été à l’origine d’une cantine, d’un atelier d’apprentissage et d’une école de dessin mécanique.

Les 25 années qui ont suivi la mort de Levy ont été placées sous le signe de l’innovation à Rorschacherberg, véritable jalon de la suite du succès commercial de l’entreprise. En effet, en 1956, Starrag a commencé à fabriquer des machines pour le fraisage d’aubes de turbines, ouvrant la voie à l’entreprise vers le secteur de l’aéronautique et de l’énergie. La qualité de surface des aubes pour les moteurs d’avion et les turbines à gaz et à vapeur est très recherchée, car elle dépend de la précision de l’usinage. Autant de raisons qui ont poussé les suisses à équiper leurs fraiseuses à copier de commandes numériques à bande magnétique depuis 1961, pour augmenter encore davantage la précision du fraisage des aubes de turbines.

La menace de la crise du pétrole

Une dizaine d’années plus tard, ces investissements se sont révélés indispensables à la survie de l’entreprise : au début des années 1970, la première crise pétrolière a atteint de nombreuses entreprises exportatrices comme Starrag, qui ont ressenti de près les « limites de la croissance » décrites dans le rapport du Club de Rome qui venait alors d’être publié. Mais Starrag a repéré des opportunités pour les machines-outils à commande numérique à 5 axes grâce auxquelles des composants peuvent être entièrement fabriqués en un seul serrage, une production d’ailleurs particulièrement durable et productive. Il s’agit de la NB 125 D qui, à l’époque (1973!), permettait déjà le fraisage simultané sur cinq axes. Ce niveau de complexité est particulièrement recherché pour le fraisage d’impulseurs de moteurs d’avion et de turbomoteurs.

L’investissement a porté ses fruits, puisque le constructeur d’avions Rolls Royce et Construcciones Aeronáuticas ont commandé de nouvelles machines spéciales à commande numérique. Grâce à sa spécialisation, Starrag a également su convaincre General Electric à Lynn, dans l’État américain du Massachusetts, et a créé sa propre filiale pour mieux servir sa nouvelle clientèle américaine. Une étape importante qui a mené l’entreprise vers le groupe international que l’on connaît aujourd’hui, avec des sites de production en Suisse, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et en Inde, ainsi que des sociétés de distribution et de service dans tous les pays clients majeurs.

Mise à l’épreuve décisive dans les années 1980

Le chemin a constamment été semé d’embûches, que Starrag a cependant toujours pu surmonter grâce à sa force d’innovation. L’entreprise de Rorschacherberg a profité de la récession mondiale de 1982 et les prix du pétrole extrêmement élevés (une conséquence de la guerre en Iran) pour s’automatiser. Elle a tout simplement suivi la tendance d’une époque marquée par la numérisation complète de l’usine. C’est ainsi que le terme Computer Integrated Manufacturing (CIM, ce qui signifie production intégrée par ordinateur) a fait son apparition. Starrag a repris l’idée pour ses nouveaux centres d’usinage à commande numérique de la nouvelle série NX dédiée au fraisage d’impulseurs et d’aubes de turbines. La manipulation automatisée et le système d’outils développé en interne ont permis de réduire drastiquement les temps morts. Le logiciel développé en interne, par exemple pour le fraisage de linteaux, s’est avéré être l’élément phare de cette stratégie CIM. L’interaction intelligente entre les machines, l’automatisation et le logiciel FAO a permis aux clients d’obtenir d’énormes effets de rationalisation de 50 % voire plus.

La stratégie adoptée par le nouveau directeur (1986) a été bien accueillie par les clients : environ une machine sur cinq était déjà automatisée et, grâce aux systèmes de commande ouverts, chaque machine automatisée était en mesure de s’interconnecter avec d’autres systèmes de production. Cela a posé les bases pour les futurs systèmes de fabrication flexibles, pour lesquels Starrag fournit même des ordinateurs pilotes développés en interne.

L’arrivée de Walter Fust en tant qu’actionnaire majoritaire et membre du conseil d’administration marqua une étape décisive dans l’histoire de l’entreprise. Il n’était alors qu’un simple lycéen de 18 ans, mais il a pu observer l’entreprise de près en donnant une conférence en anglais sur les machines-outils de Starrag et +GF+. Sa bonne impression fut confirmée, car après son diplôme, Walter Fust a commencé des études en génie mécanique à l’EPF de Zurich, a acheté des actions chez Starrag dès les années 1970 en tant que jeune entrepreneur et a lu régulièrement les rapports de gestion de l’entreprise. Vers la fin des années 1980, il a acquis un ensemble d’actions plus important afin de participer plus activement à l’entreprise. Le diplômé en construction mécanique a trouvé une entreprise d’ingénierie « qui a toujours réussi à s’adapter aux conditions changeantes du marché ». Mais Walter Fust a également critiqué l’engouement technique du département de recherche et développement, qui n’était selon lui pas assez orienté vers le marché.

Tout a commencé à Chemnitz

« Nous ne pouvons pas nous permettre de proposer des gadgets » : tel était son principe. Mais le nouveau président du Conseil d’administration ne flanchissait devant aucun risque, à condition que tout soit « mûrement réfléchi ». En 1998, il a racheté la société Heckert GmbH de Chemnitz qui, avec plus de 50 000 machines-outils vendues en RDA, faisait partie des plus grandes entreprises de construction mécanique. Rorschacherberg et Chemnitz se sont ensuite unies sous le nouveau nom d’entreprise Starrag Heckert, afin de garantir une production plus rapide, plus précise et à moindre coût, en particulier grâce à une stratégie de plate-forme commune. Rétrospectivement, Fust estime que c’était l’opportunité à ne pas manquer.

Dès 2005, il s’est penché vers les prochaines entreprises à acheter aux côtés du nouveau PDG. Le duo a investi de manière stratégique et ciblée dans des spécialistes des logiciels de fabrication (TTL), de la mesure de haute précision (SIP), du tournage, de la rectification, de l’usinage à portique et à grande vitesse (Dörries Scharmann avec Droop+Rein et Berthiez) et enfin de l’usinage de haute précision (Bumotec). « Toutes les entreprises s’intégraient parfaitement dans notre stratégie globale », a déclaré Fust, très fier, lors d’une interview avec le journaliste suisse Richard Lehner.

Un groupe d’entreprises rassemblant dix marques s’est formé sous le nouveau nom de société Starrag Group, dont les clients travaillent pour toutes sortes d’industries. Les machines de Starrag Group produisent par exemple des composants pour les montres de luxe, les entraînements gigantesques pour des éoliennes, les instruments chirurgicaux de haute précision ou encore les plus grandes hélices de sous-marin du monde.

L’imagination est au rendez-vous

La manière particulière dont Starrag réagit aux crises et aux catastrophes, qui n’ont pas manqué au cours des 125 ans d’histoire de l’entreprise, n’est pas courante. Cela a permis à l’entreprise de survivre à la guerre mondiale de 1914, car son fondateur Henri Levy a compensé en partie le manque de demande de machines à tricoter par la construction d’automates à cigarettes et de machines à dénoyauter les cerises. Plus actuellement, l’entreprise a réagi de manière tout aussi imaginative aux conséquences de la pandémie du Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne.

Un exemple en particulier a fasciné le PDG de Starrag, Dr Christian Walti, au point de le mentionner dans l’éditorial du magazine clients Star 1/2022 : « Un tout autre type de collaboration d’équipe était nécessaire à Saint-Étienne, en France, chez Starrag S.A.S., qui devait monter une rectifieuse Berthiez démontée dans la lointaine Chine et la mettre en service dans les délais. À cause de l’interdiction d’entrée dans le pays liée au Coronavirus, Starrag Chine a repris la commande, avec l’aide technique à distance des experts français en matière de broyage ». La gestion de l’interdiction stricte d’entrée a été bien accueillie par le client, un groupe mondial, et a généré de nombreuses autres nouvelles commandes. Cet esprit d’équipe typique de Starrag et ses conséquences auraient certainement réjoui le fondateur de l’entreprise, Henri Levy, tout autant que sa première médaille d’or.